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Diviser pour construire, 
ou l’art de dessiner comme on coupe un gâteau


Thierry Marié - 8 octobre 2005
 
Il est souvent répété dans les ateliers d'art qu’on ne doit pas dessiner de manière linéaire en suivant le contour d’une forme comme s’il s’agissait de découper une ombre chinoise, mais qu’il faut au contraire commencer par construire son dessin.
 
L'indication est juste, mais que signifie en fait « construire son dessin » ?
 
On devine aisément qu’il s’agit toujours d’une affaire de proportions. Combien de hauteurs de tête puis-je faire tenir dans la hauteur du corps entier de ce personnage ? Où vais-je placer l’horizon de ce paysage par rapport à la hauteur totale de mon format ? Quelle part d’espace vais-je attribuer à cette montagne dans mon tableau ?
 
Or, ces estimations ne peuvent s’accomplir qu’en partant de l’ensemble pour aller vers la partie, et non l’inverse. Inutile de concentrer son attention sur des détails que l’on serait bien en peine d’accorder ultérieurement en une unité cohérente. Aussi, dans l'organisation de son dessin, le technicien avisé évite de fonctionner par addition et privilégie le principe de division. On perçoit aisément la logique de cette méthode si l’on considère la manière dont nous effectuons « à l’œil » la plupart de nos calculs domestiques. Toute personne ayant assumé un jour la délicate mission de découper un gâteau en un nombre donné de parts égales sait ce qu’il en est : pas question de commencer par trancher les premières parts au hasard sans s’exposer au risque d’offrir aux derniers servis des morceaux trop gros ou trop petits (provoquant ainsi la montée d’une légitime indignation dans les rangs des gourmands les plus mal servis !) Nous comprenons facilement qu’il est plus indiqué de commencer par découper le gâteau par le milieu, soit en deux parties exactement égales si le nombre d’invités est pair, soit en deux parties un peu inégales si le nombre d’invités est impair. Dans le cas où le nombre d’invités est un multiple de trois, il est recommandé de commencer par séparer le gâteau en trois, donc d’abord en deux parties dont l’une sera être le double de l’autre. Les sous-découpes se feront évidemment de la même manière. Cette méthode peut s’appliquer à toutes les situations.
 
Étrangement, de nombreuses personnes qui réussissent très bien l’épreuve de la découpe du gâteau, se trouve désemparées devant une forme à dessiner. Il suffirait pourtant d’appliquer la même méthode : toujours diviser l’image en partant de l’ensemble, c’est à dire chercher, dans la verticalité comme dans l’horizontalité du plan, le milieu ou le tiers. Car notons bien que si l’on peut facilement estimer de visu une moitié ou un tiers sans instrument de mesure, il est en revanche très aventureux de tenter d’évaluer d’un coup d’œil un cinquième ou un septième ! Évidemment, dans la construction d’un dessin complexe, toutes les parties ne sont pas toujours aussi facile à « découper » que les parts d'un gâteau ; mais le principe de division et sous-division reste le même.
 
Comment, par exemple, entreprendre le dessin d’un arbre ? Je ne dois évidemment commencer à disposer les branches en commençant par le bas et en montant progressivement ; pas plus qu’en commençant par le haut et en tentant de redescendre. Car dans ces deux cas, l’arbre risquerait d’être à l’arrivée trop petit ou trop grand, comme les dernières parts d’un gâteau mal découpé. La bonne méthode consiste à commencer par une forme générale - ce qui, pour un arbre élancé, peut être essentiellement le segment représentant l’axe à peu près vertical du tronc se prolongeant jusqu’à la plus haute branche centrale. En traçant cette ligne, je suis déjà assuré de faire entrer l’arbre entier dans mon format à la dimension souhaitée. Ce qui est un bon début ! Je dois ensuite diviser cette ligne en deux ou trois parties égales en utilisant quelques points de repère gracieusement fournis par l’arbre : on peut par exemple remarquer une grosse branche ou bien une tache sur le tronc, parfois un détail infime auquel on n’accorde d’intérêt que parce qu’il nous aide à organiser notre perception. Il est évident que tous ces calculs peuvent également s’effectuer à l’horizontal afin d’estimer les rapports entre les largeurs des masses de feuillages. Ce n'est que lorsque ce travail préparatoire aura été effectué avec soin qu'il sera possible de procéder à un dessin tenant compte des détails.
 
Avec un peu d'entrainement, la construction devient un exercice assez simple pour la plupart des formes qui nous entourent. Les meubles, les animaux, les personnages deviennent des formes qui dévoilent leur organisation interne et que l'on peut par conséquent dessiner sans commettre d'énormes erreurs de proportion. Dessiner de cette manière n'est pas seulement plus juste techniquement, c'est également beaucoup plus agréable parce qu'on pénètre ainsi dans la magie de la vitalité des formes. En effet, permettre à son dessin de se développer par division, c’est lui faire emprunter le chemin des formes vivantes telles qu’elles évoluent dans la nature. Celui qui est soucieux de donner vie à son œuvre devra se rappeler que si l’on peut extraire des organes d’un organisme, on ne peut pas produire d’organisme en rassemblant des organes. La création artistique a ceci de commun avec la création naturelle que la vie n’y demeure que tant que la partie reste en relation avec la totalité dont elle est issue. Ce qu’on appelle « construction » est le trait qui rend visible cette relation. La vie d’un dessin ne tient qu’à ce fil.